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09 Dec

Rêve assumé

Publié par Clément RAULIN

Rêve

Enfin, je finis par reproduire cette nuit dans mon sommeil journalier. Il en était fini des rêves de mortel, d’amour invraisemblable et de trou sans fin. Désormais, les lumières, la musique et le goût salé du sang empliraient mes journées comme ils emplissaient mes nuits. Durant de longues heures, allongé dans les ténèbres de mon cercueil, je ressentis l’influence de la cocaïne, cette étrange impression de voler dans son sommeil. Ma couche s’éleva, glissant dans l’air. Silencieuse, elle quitta ma cave, monta la cage d’escalier. Puis, tel un canot dénué de canotier, elle se mit à dériver dans les pièces inondées de soleil. Au travers des bois blancs et or, je devinais les grandes baies immaculées du rez-de-chaussée. Ouvertes sur le monde, elles laissaient filtrer les rayons hivernaux de l’astre vénéré. Les rouges resplendissaient, les bleus brillaient, les jaunes et les verts venaient contraster avec les noirs éclatants des longues ombres et les blancs vitreux des appentis. Un piano jouait, fort et doux, si mélodieux. Il était grand, laqué de noir et, derrière le clavier, elle faisait courir ses doigts, les cheveux éclatants de mille feux. D’entre ses lèvres rosées sortait une douce mélopée : instrument accompagnateur. Enveloppée de sa longue robe blanche, elle pianotait un air de Beethoven en chantonnant une vieille chanson adaptée par quelque miracle : un mélo enchanteur. Les yeux mi-clos, elle fixait le vide, cherchant au fond de son cœur léger la puissance dont elle se nourrissait. Passionnée par sa musique, ses pensées, par ses rêves et cette histoire contée lorsque l’on est triste, elle ne vit mon navire passé dans le couloir.

Sous moi, l’herbe grillée par le froid, défilait dans ses nuances de jaune et de vert polies. Elle sommeillait. Sa sève endormie attendait la chaleur, la faisant se dandiner sous l’influence du froid glacial venu du lointain nord. Et, sous ses pieds, le sable fin, réchauffé par les rayons de soleil blanc, étalait sa silice brillante. Par ce miracle de la nature, l’herbe couleur or semblait briller de mille diamants. Puis, elle laissa place à la longue plage et à la mer, plane et calme. Telle une femme, elle se dorait sous l’immensité du ciel bleu azur. Doucement, son navire vint s’y abîmer. Je pus alors sentir sa douce onde bercer mes reins, mon dos et ma tête endolorie. Loin au-dessus de nous naviguaient des mouettes, surprises de voir un tel équipage erré sur leur lieu de pêche. Je croisais de grands navires au nom exotique, transporteurs d’énergie vitale et destructeur. Volontaires, ils avançaient doucement vers de lointains et hypothétiques ports.

Car, pour l’heure, l’interminable mer était leur seule compagne et les marins n’en doutaient point. Ils l’aimaient et la haïssaient, la priaient ou la maudissaient selon quel fut sage ou furieuse. Pour moi, elle fut douce et charmante, me racontant les grands navires aux maintes cheminées, les galions plein d’or, ainsi que les combats épiques dont elle fut le témoin privilégié. Par la suite, elle me montra ses entrailles : ses poissons aux mille couleurs, ses baleines lourdes et plus gracieuses que les princesses des cours antiques. Au fond, dans ses noirs reflets, je vis sa minuscule faune au déplacement imprévisible, ses êtres étranges aux yeux translucides et à la peau clairs. Dans ma remontée, je vis enfin le prédateur, le tueur parfait dénué de tout ascendant dans la dure chaîne de la vie. Il représentait l’ombre de notre pouvoir terrestre. Identique à nous autres, créatures de l’ange déchu, il était fait pour tuer, se nourrir de la vie chaude de son beau troupeau. Mais, lui, était l’œuvre de Dieu. Sa mâchoire égalait, dans leur pénible perfection, nos canines et sa vitesse d’exécution : nos gestes promptes et précis à donner l’absolution. Insouciant, le grand blanc tournait autour de mon cercueil. Il était mon ami et fidèle compagnon.

Soudain, le piano reprit, plus fort et plus parfait. Implacable, son son me parvint au travers de mon rêve mélancolique. Quel qu’il soit, il jouait vite et bien, aussi bien qu’il l’avait fait chez Harry ce funeste soir. Il me réveilla à peine, m’attirant, tel un somnambule victime d’hypnose hors de ma couche. Sans savoir comment, je me retrouvais face à la grande fenêtre. Au travers, j’observais cette belle lune, elle me rappelait ma jeune et jolie droguée. En filigrane, je revis les gestes précis, composants du rituel étrange de ma dernière victime. Finalement, je sentis un sentiment de remords inédit monté en moi : elle semblait tant aimer.

Je me trouvais à ces côtés en ce moment de contemplation.

Le dénonciateur

Les doigts cadavériques allaient trop vite pour l’œil humain. Ils sautaient de touche en touche dans une insolente frénésie contrôlée. Beethoven songeais-je, toujours lui.

Grand, portant une longue cape noire doublée de satin blanc rejetée sur ses épaules, il se balançait debout au rythme baroque de sa mélodie. Sa large crinière sombre ondulait dans son dos. Peu inquiet, je le regardais œuvrer, songeant toujours à Harry mon ancien ami et collègue involontaire de l’étranger. Où était-il ? que faisait-il ?savait-il ce qu’il m’était arrivé ? De nouveau, une larme de sang roula sur ma joue pour venir mourir au coin de ma lèvre. Rapide, ma langue lapa, venant me rappeler l’horrible dépendance dont je souffrais. Sur l’air joué par mon ennemi, mes pensées s’égarèrent sur les dernières personnes que j’avais pu rencontrer : Elanda, Pierre ou encore Doris. Il s’agissait d’un nom sans visage, sorti d’une période trouble où tout change, où les gens passent sans s’arrêter, vous blessent sans vous tuer pour l’éternité. Alors que je me dispersais dans de vieux sentiments, la mélodie devint douce, gentille et romantique. Imperturbable et dominateur, il calquait mes pensées sur son jeu de touches noirs et blanches.

« Bonjour balbutiais-je au bord des larmes.

  • Enchantez mon jeune ami. Je me nomme Moristo et je viens vers toi aujourd’hui car les temps sont venus. » Se disant, il cessa son jeu, se retournant pour me laisser voir son doux visage blanc et ses petits yeux gris. Androgyne, il vint déposer un baiser léger sur mes lèvres avant de s’enquérir de mes vêtements en souriant.

« Quand décideras-tu enfin de changer de vêtement ? Ces habits finiront par se délabrer totalement, toi, cela ne t’arrivera plus. Alors, évite de t’y attacher. D’un geste fugace, il balaya quelques brins de tissus délités de mon habit.

Me regardant, je ne pus éviter de rire ; j’avais aimé ce style la veille, l’avais brandi pour affirmer mon pouvoir et ma puissance.

  • Un peu de dignité, je vous prie. Tu ne dois pas oublier que les mortels ne t’aiment pas.
  • Comment ?
  • Tu es comme le lion : tu dois être discret, attendre ta proie avant de l’attaquer, de sucer son sang. Du moins, c’est ce que tu aimes, n’est-ce pas ? Vous êtes tous les mêmes, au début rien ou presque ne vous révolte de votre état, vous faites preuves d’une belle résilience juvénile. Au début, j’allais comme toi, fière et sans âme brisant ce monde en riant avant de la retrouver. N’as-tu pas encore perçu en toi ce fond d’humanité ? »

A cette question, ses yeux gris me fusillèrent. La haine les faisait briller. Je compris alors que nous étions très différents et Moristo détestait autant que les humains ma représentation. Pointant sur moi un doigt vengeur, il rugit :

« Décadent, tu es. Incapable de résister à l’appel de la soif, tu en périras.

  • Mais ? implorais-je presque.
  • La vie est possible sans, dit-il avec un calme retrouvé par magie. N’as-tu pas goûté la sueur, ne peux-tu boire qu’un peu sans tuer. Pourquoi vivre comme un prédateur quand on a le pouvoir d’aider son prochain. Le mal est donc si doux à voir que vous le provoquez ainsi, aveugle à la souffrance engendrée autour de vous...
  •  Ton père, mon frère de sang, créé dans la même année par une génitrice sans âme t’a abandonné à une source bien triste. Jamais il n’a appris, nous avons pourtant connus les affres de la solitude, cette soif nous étreignant sans même une mère aimante pour nous en expliquer la cause. Il posa une main bien trop légère sur mon épaule. Je peux être ce qu’aucun autre ne saurait être pour toi. »

Inexorable, la haine qu’il portait à ce que nous représentions exaltait froidement de ses paroles. En moi, se nouait une forme de révolte, elle battait cette humanité dont il avait fait profession de foi en brèche ; mes larmes devinrent mépris et je répondis sans vergogne.

« Pauvre Moristo, coupais-je, comment peut-on faire pour refuser à ce point son état de prédateur suprême. La vie n’a-t-elle pas plus de goût dans la mort, la beauté mortelle n’est-elle pas plus resplendissante qu’avant ? Et si nous sommes tous différents, n’est-ce pas pour profiter de bonheur adapté. Comment faire pour vivre l’éternité si on n’accepte pas cela ?

Un rictus éclairé son visage. Ainsi, j’allais sans le surprendre comme un enfant au réaction commune, ni meilleurs, ni pire que ses congénères ; je me trouvais d’une banalité confondante dans mon impertinance.

  • Le bien, petit, le bien nous offre le pouvoir ; celui d’aimer, de voir le soleil, de vivre de sueur et de froide rosée, de ne plus avoir à courir la nuit après notre dose de sang.
  • Cela ne saurait être ma vie et vous ne sauriez être mon guide. Alors, seigneur Moristo, sortez, allez traquer ces monstres qui sont vos frères et défendre votre troupeau que vous pensez constituer de vierges brebis. »

Ses mains se serrèrent. Ses ongles transpercèrent ses paumes d'où goûtèrent un fluide translucide. Malgré son indignation, sa parole demeura souveraine.

« Alors, vous devrez disparaître comme les autres. Vous serez le dernier après votre créateur et père. Maintenant je vous laisse à votre infortune. Profitez en avant mon retour. »

Son regard se fit prégnant l’espace d’un instant, puis il glissa sans bruit pour disparaître comme un songe.

Quand il sortit, je m’écroulais dans un grand fauteuil, les yeux baignés de doute et la tête en feu. Je doutais, malgré moi, de la stupidité de ces dires. Je n’étais qu’un tueur aveugle et fou. Le jeune visage couleur de lune revint soudainement obsédé mon esprit. Affaiblit par la rencontre avec ce monstre humaniste, je m’effondrais la tête enfouie entre mes genoux, les mains recouvrant ma froide nuque. Pour la première fois depuis des années, je doutais de mon destin. C'est alors que je sentis ses doigts chauds s’éprendre de mes longues phalanges.

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