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INTROVERSION

Publié par Clément RAULIN

 

Ardelot, mai 2018, je suis assis dans un sofa au cinquième étage, les pieds posés sur une chauffeuse, devant moi s’étend une longue plage et la mer qui se perd dans un horizon brumeux. Le poète écrirait qu’il n’y a plus d’horizon ; la mer et le ciel se confonde dans un infini qui nous dépasse. Mais, je ne suis pas le poète, je ne suis qu’un homme parmi les autres et, comme eux, je fais partie d’un infini qui nous dépasse.

Devant cet alignement de bateau en contre bas de notre immeuble, derrière la baie vitrée de cette appartement acheté en copropriété, met venu l’inintelligible envie d’écrire. Certains me connaissant se gausseront, à juste titre de moi. De fait un peu près tous les trois ans, je tente, en vain il en va de soi, d’aligner quatre phrases sur un ordinateur ; une fois, peut-être, j’ai fini un livre. Cette description des faits pourrait paraître crédible si l’on pouvait considérer la définition suivante du mot finir : « lancer dans un dernier effort des notions vaines dans une œuvre souvent bâclée par faute de concentration, parfois merveilleuse par quelques heureux hasards ». En résumé, je ne l’avais jamais réellement fini tant des pans entiers de l’ouvrage, parlé d’œuvre serait présomptueux, tenaient plus d’un maelstrom mentale que d’une construction intellectuelle.

J’avais alors une vingtaine d’année, pour moi, il s’agissait d’hier. Comment se rendre crédible dans ses moments-là.  Franck, Harry et les autres ont vingt ans d’existence dans mon cerveau et quelques années sur un blog non suivi, ils vivent dans un abime de méconnaissance totale et tournent en rond sur le même disque rayé. Face à l’immensité, j’en serais là, à vivre avec une extrême intensité la même histoire, la renouvelant avec parcimonie mais ne l’achevant vraiment jamais, comme si j’avais peur de passer à autre chose, d’évoluer.

Un pâle soleil baigne le sable aujourd’hui. Depuis ce matin, il tarde à percer vraiment les nuages inhérents aux plages du Nord. Au loin, on se croirait surveiller par la perfide Angleterre, ennemie fraternelle sempiternelle. J’aime à me persuader qu’ils sont là, au-delà de ces eaux tumultueuses, à se demander qui des deux aura le courage de tirer en premier. L’histoire nous apprend bien évidemment que ce sont eux, malgré cela, il reste terrer sur leur île à faire bien comme ils veulent. En voilà, un peuple courageux, capable de voter comme un seul homme contre la soumission à un pouvoir quasi fasciste. Evidemment, je pourrais être condamné pour une telle pensée, mais je ne voudrais être contraint à devoir dénier le droit à un peuple d’être libre. En suis-je là de ma réflexion, en regardant cette mer froide où se baigne des femmes, des enfants et des hommes bien plus courageux que moi, rien n’est moins sûr.

En revenant, à mes désirs délétères dans finir un jour avec une œuvre dont je serais fier de signer la quatrième de couverture, je dois vous avouer l’existence d’un deuxième acte au premier non achevé. Il s’agit, sans nul doute d’un écrit se voulant comme une conclusion, un acte ultime en quelque sorte dont la première qualité est sans doute de ne pas être finit. Harry y est un écrivain raté devenu exploitant agricole dans une vallée boisée et Franck cherche toujours à se trouver une légitimité. Les protagonistes féminins ont changé car je reste un détestable misogyne. Paradoxalement, elles commencent souvent par avoir une forme de rôle principale, et même, souvent, elles sont supérieures aux hommes qu’elles peuvent croiser. Pour une raison m’échappant, je finis par les faire disparaître, non qu’elles ne meurent, elles s’évaporent dans les nimbes du récit. Leur existence se résume à un support narratif à la domination de l’être masculin. Ecrire ce récit me fait prendre conscience de cette réalité. Elle est d’autant plus paradoxale que je pense souffrir d’un complexe d’infériorité face aux femmes.

Alors, on pourrait bien se poser la question des fondements même de cette forme de misogynie dans mes propos. Elle repose, sans soucis, sur ce même complexe. J’en viendrais, par un acte inconscient à avoir fait d’un être que je vénère, un simple support à un sujet bien plus masculin. Toutefois, si vous aviez eu la chance de me lire, vous sauriez que tout cela n’est pas si simple. Les personnages masculins de mes deux essais ne sont en rien des héros de tragédies grecques ou anglicanes, mais bien des anti héros, animaux blessés errants dans un monde dont ils ignorent tout de la bienséance.

Enfin, j’arrive peut-être à mon propos ; la bienséance et la volonté de tout un chacun en ce monde de penser plus ou prou comme un de ses voisins. Car le système, le mot grossier est lâché, n’est pas dupe, il nous doit bien le droit de penser de différentes manières, au moins, tant que cela ne sort pas d’un cadre bien définit et très encadré par les réseaux sociaux. Est-ce à dire que les réseaux sociaux n’ont pas libéré la parole ? Il est évident qu’ils l’ont fait, en tout cas pour les moins modérés, ceux qui s’affublent d’une forme de savoir incorruptible, et c’est là que le bât blesse, car rien n’est plus corruptible et faillible en ce monde que le savoir absolue, cette forme d’obscurantisme bienveillant qui permet à la majorité d’entre nous de se sentir en sécurité. Et soudain, Dieu ou Jupiter fit la trinité, l’extrême droite, l’extrême gauche et l’extrême centre et, par un bien fondé humaniste, hors du centre, point de salut. Alors, la messe est dite, et seul face à mon ordinateur, misogyne et contraint par une forme de volontarisme inversée, je m’avoue, non vaincu car le terme est trop fort, du moins affligé par tant de bêtise.

Alors, reste-t-il envisageable de penser autrement, c'est-à-dire de façon modérée, humaniste, en se déterminant par rapport au précepte suivant : les notions de bien et de mal ne sont que des constructions intellectuelles ? Et le rapport à Ardelot et à mes essais s’échappent encore un peu ou pas. Avoir fait d’un vampire et d’un flic doutant de se hiérarchie des anti héro fassent à un système basé sur une forme d’uniformisation sociale niait en tout point, la capacité d’êtres bienfaisant à faire appliquer une règle forcement omnisciente à une société ne relevant pas du moutonisme (mot inventé) générale. La réalité est tout autre, dans un contexte de contestation minoritaire, le pouvoir quasi autoritaire se renforce sous la pression d’une masse voulant s’assurer une forme de confort.

Pour Franck, devenir vampire en lieu et place de son ami et une position bien moins inconfortable que de rester à la lisière de la société ; être hors de lui confère un statut. Il lui confère un devoir plus grand, pouvoir qui le dépasse et qu’il mettra au service de la chute des biens pensant et ce, malgré lui. Mais, il ne fait pas partie des extrêmes ou des contestataires instruments du pouvoir, il est l’ennemi, la rupture, l’assassin ou bien encore le chaos. Après lui, rien si ce n’est les abimes profonds d’un pouvoir vacant que personne ne revendique car tous sont morts. Le méfait perpétué, il a l’élégance de disparaître là où rester aurait fait de lui un héros.

Face, à la mer, ayant remplacé le bruit de fond de la télé, par le son salvateur des vagues s’échouant sur la plage, mon esprit se fond dans cette pensée et je me mets non pas à en finir de mon œuvre comme on se débarrasse d’un dessert après un repas trop gras, mais à essayer de la comprendre. En évidence, la démarche pourrait sembler égoïste et une volonté d’introversion personnel vous ferait fuir. Mais, cette démarche ne nous dépasse-t-elle pas ? ne nous devons nous pas à nous même d’essayer de voir au-delà de cette mer scintillante sous un soleil couchant. Pour ma part, je le pense et je me sentais le besoin de le partager par ces lignes. Quant à comprendre la légitimité de cette action, il s’agit d’un autre débat. A se demander si tout personne se mettant en action est légitime à le faire et, qui a le pouvoir concéder à en juger tant que l’action, par évidence, reste dans les droits fondamentaux de l’homme.

Au matin, la mer était agitée, sous un soleil bleu, elle revêtait des couleurs dégradés de gris bleue. Au loin, sur la ligne de l’horizon, des silhouettes de bateaux nous invitaient au voyage. Je ne tomberais pas dans la facilité de ce rêve de pleine mer avec son lot d’inconnu et d’aventure. Le ciel strié de fin nuage gris, souffle sur la plage un vent froid d’Ouest. Sur la plage, les drapeaux de l’école de voile claque et les premiers promeneurs et joggeurs errent les cheveux au vent, gouttant avec plaisir à la brise salée des grands larges. Assis derrière ma baie vitrée, un mal lancinant me vrillant le dos, je regarde cette ultime bande de terre. Elle accueille avec ferveur le flux et reflux des flots d’écumes blanches. En cette heure, ces assauts se retirent doucement face à la limite des terres. Un cerf-volant jaune et rouge s’élève dans le ciel, il danse sous le vent manié avec une adresse séculaire par un homme en short et sweat.

Une même race est ainsi capable de si belle et harmonieuse chose et de tromperie. Ce cerf-volant est le beau symbole de l’action gracieuse, de la volonté même de toute une civilisation de jouer, non pas contre, mais avec la nature.

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