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06 Sep

Elle et Lui

Publié par Clément RAULIN

Retrouvaille

Ils étaient deux, cachés au fait d’un arbre, leurs jumelles braquées sur le corps flasque de leur lieutenant. Un troisième les épiait. Enveloppé dans une cape noire, le chassé restait assis sur une pierre à quelques mètres de là. Ses yeux rouges se moquaient des deux chevaliers qui escomptaient sûrement le tuer.

« Cela n’est pas un jeu mon doux prince. Leur force doit être prise en compte si tu veux gagner cette bataille.

  • Je sais Elanda. Mais, désormais que tu te trouves à mes côtés, je me sens plus fort.
  • S’il en est ainsi, je te laisse à ton œuvre. Sache seulement que je suis là. »

 

Une ombre se plaça sous les branchages où se trouvaient les deux assassins. Insouciant, ils riaient sous cape en observant Doriande essayant de se lever. Tout comme un pantin dont les fils auraient été coupés, elle bougeait sans harmonie. Aucune coordination ne lui permettait plus de rester debout. Sur son doux visage clair, des larmes coulaient. Elle avait peur de la mort et, sentant sa main froide approcher, la panique la prenait.

 

La douleur, qui saisit Franck au bas du dos, lui raisonna tout au long de sa colonne. Il sentit son sang se déverser par le trou ; il fuyait en traitre ses muscles. Vif comme l’éclair, il fit volteface, juste à temps pour saisir larme s’apprêtant à le frapper de nouveau. Alerter, les deux comparses bondirent de leur planque. Le premier tomba accroupi devant Franck en lutte avec le propriétaire malheureux du couteau. Jugeant son collègue perdu, il arrosa le tableau de plomb argenté. Touché par trois fois, le vampire lâcha le cadavre de son premier assaillant et recula. Le second lui tomba sur le dos, le plaqua au sol et lui enfonça une dague dans le côté avec une précision sans égal possible. Usant du reliquat de sang laissé par ses blessures, le vampire se retourna si promptement que l’homme alla se briser la colonne sur un gros chêne. Avant que le tireur puisse reprendre son jet de mort, il mordait dans sa carotide pour en tirer un maximum de force. Quand il s’écroula mort, Franck chancela avec. Le sang ainsi prit lui avait uniquement permis de rejeter l’argent des balles de son organisme. Il restait gravement blessé et ne put que ramper vers le corps de Doriande. Elle suffoquait, s’asphyxiant peu à peu. Sous l’effet d’un froid interne grandissant, son corps se convulsait. Quand elle vit le serpent se torturer en sa direction, elle rêvait déjà de sa fin. Sa chemise en lambeau se couvrait maintenant de larges plaques pourpres. Il émanait de son être une odeur fétide de mort.

 

Allongé à ces côtés, il balbutia :

 

« Ta décision ?

 

« Elle ne veut pas vous rejoindre Mr Dumar, claqua une voix féminine qui semblait surgir d’un rêve. Cette fille croit en la loi et en la société parfaire instaurée par son mentor. Pour elle, tu n’es qu’une apparition abjecte, quelque chose qui ne peut exister. »

 

Elle se tenait droite, planté dans le dos du vampire. Ses traits tirés par les privations et la peur inspirée, malgré elle, par Franck, elle s’était exprimée avec une assurance marquée. Sans se retourner ou même, tenir compte de ce monologue, le vampire approcha sa bouche de sa victime. Malgré leur ample faiblesse et le gel paralysant leurs membres, les deux protagonistes réussirent à se relever. Doriande se trouvait face à son bourreau d’horrible apparence. Seule la volonté animait son corps de mortel. Son visage était livide, ses membres supérieurs pendaient, sans vie, le long de son corps raidit par des spasmes de vie. Mais, dans ses yeux, brillait encore une énergie profonde et troublante. Nulle victime ne lui avait jamais inspiré un tel sentiment ; il sentit monter en lui un réel respect et non plus, une stupide pitié. Amour et haine se lièrent dans son esprit ; son ennemi avait la foi, elle croyait en l’utopie de son maître et même en l’ombre de son destin. Elle continuait à communier avec ses croyances. De ce fait, pour la première fois, il hésita à achever sa tâche, à aller au bout de sa soif.

 

Dans son regard froid, elle entrevit la lueur du doute. Son approche s’était faite plus saccadée, moins assurée. Elle comprenait qu’il n’était plus sûr de pouvoir accomplir son acte. Décidée à gagner une ultime bataille sur le moral de son adversaire, elle réunit ses dernières forces pour articuler :

 

« Tu as du mal à achever ton ennemi. Pour Moristo, s’était facile, il était des tiens, tu ne lui portais ni amour ni haine, il t’était simplement indifférent. Mais moi, c’est différent, tu me hais car je représente la fin de ton règne sur la nuit : il y a une guerre ouverte entre nous, sans ambiguïté ni contrainte, une guerre logique et froide, pleine de sentiments aussi forts, entiers que stupides. Jusqu’à cette heure maudite, nous avons chacun poussé nos pions avec une résolution implacable. Mais là, alors que la victoire se trouve à ta portée, tu hésites, tu recules…

 

Ne l’écoute pas, coupa Doris, elle essaye de te détourner. Tu vas mourir. Réagis, suis ta route et terrasse ton ennemi. Elle tente de faire un jeu d’une sordide bataille.

 

Oh ! s’énerva Franck. Dans ses yeux ébahis luisait un rare désappointement. Vous avez fini votre discours tout littéraire. Je n’appartiens à aucun système autre que celui de la vie et de l’amour. Un peu de sentiments, Mlle Doriande, face à votre destin. »

 

Etourdie par la force de ces paroles qui claquèrent haut et clair, l’élève s’écroula dans les bras de son maître.

« La mort, murmura-t-elle consciente de sa défaite. »

 

Son sang était celui d’une passionnée de la sagesse, fade à l’infini, empli d’un profond sentiment d’amour désespérant. Il glaça la gorge de Franck, qui rejeta le corps inerte comme on crache un aliment gâté.

L’acte accompli, un profond silence baigna la vallée, un silence pesant qui vint s’immiscer entre deux êtres qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps.

 

Un jean trop serré dessinait ses fines jambes, et une chemise de flanelle tombait sur sa poitrine rebondie et dressée par le froid. Jamais elle ne lui avait paru si belle avant. La lueur de la lune lui donnait une autre dimension.

 

Certes, elle n’atteignait pas le niveau mystique de Thèbe, mais un charme simple et violent émanait de sa personne. S'il n’avait pas été aussi sinistre suite à l’acte de vampirisme, elle aurait peut-être succombé à la différence qui transcendait à travers lui, à cette force qui l’écartait de la démagogie ambiante. Mais, n’était-ce pas des plaques de sang séché qui couvraient sa chemise déchirée et boueuse, tout comme la quasi intégralité de son corps ? Il lui parut terrifiant, sorte de démon de la nuit venu annihiler son ennemi et qui, son forfait accompli, épiait la jeune et vierge proie, témoin de ses méfaits. Elle avait osé empiéter sur son terrain de chasse, elle en sentait le reproche dans sa personne. Son visage dur et froid reflétait les rayons lunaires, ses dents brillaient dans la nuit. Fines et clairs, il suintait encore un peu de sang dessus. Ne sachant si elle devait succomber ou fuir, elle n’osait bouger.

 

Il s’approcha lentement, le regard un peu bas, un léger sourire tranquille aux lèvres. Dans un geste empli de conviction et de tendresse, il lui posa une main sur le coup, et vint lui murmurer à l’oreille :

« Si tu le désires, attend moi au chalet. Quand tout sera accompli, je te rejoindrais. »

Puis, dans le souffle d’une légère brise, il disparut à ses sens.

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