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02 Sep

Doris

Publié par Clément RAULIN

Doris

A l’institut, on l’avait quelque peu oublié. De temps en temps, elle apercevait une silhouette passée devant la lucarne de sa chambre capitonnée. Inévitablement, il s’agissait soit d’un homme en blanc, soit d’un géant en col roulé noir et lunettes fines fumées. Nul ne s’arrêtait pour regarder l’infante retournée à ses rêves. Jamais elle ne criait, se levait ou même, simplement, bougeait ; elle ne demandait rien, se laissant s’enfoncer dans la faim et la soif. Son esprit tournoyait entre le beau et doux visage de son patient suicidé, et les yeux sages et vieillis de son Pierre aimé. Ils se succédaient à une vitesse prompte à rompre les vaisseaux de son cerveau. Mais, rien n’y faisait, ils résistaient à l’assaut répéter de leur image. Elle luttait contre leur amour et celui qu’elle pensait leur porter avec raison. Au centre de son tourbillon, dans l’œil du cyclone, se tenait la frêle Malika, riant fort, menaçant du doigt quelque chose de flou qui affleurait parfois les vents. Des capes sombres flottaient autour d’un corps anormalement fin et blanc. Dans ses orbites noirs brillaient, comme deux perles, des pupilles blanches et enfoncées profond.  Exposant ses dents longues et affûtées, enchâssées dans des gencives saignantes, il semblait sourire. Etirée, sa peau relevait la couleur du marbre et laissait voir la forme élancée des os de son crâne. Dessus, retombaient des cheveux gris noir, sec et sales. Lorsque son esprit eut conscience de l’appartenance de ce corps, Doris fut animé de convulsions. Moristo, ou, du moins ce qu’il en restait, voulait se mêler à la danse. Les reliquats de son âme damné avaient surnagé jusqu’à se perdre dans les nimbes de l’esprit perdu de la psy.

 

Soudain, ses fines lèvres livides bougèrent. Un son rauque et fatigué en sortit :

« Petite, tu dois revenir à la réalité pour sauver ceux qui t’aiment et les autres. Tu es la seule que le Docteur a épargné.

  • Alors, balbutia le cyclone, que fais-je ici ? Certes, j’y suis bien, tout est facile, je n’ai même plus faim.
  • Tu fuis, tu fuis ce qui aurait pu te tuer, ta vocation pour un monde libre et serein, où chacun vivrait en accord avec lui-même sans avoir à craindre le jugement de ses pairs.
  • Mais, si cela était vrai, je serais farouchement démagogique et rêveuse. Si cela est, je préfère rester ici, dans ma belle utopie. J’ai vu tes actes pendant la rébellion, je t’ai vu tuer son père, te battre avec lui et fuir ce que tu étais et n’aimais pas. Je t’ai vu naître dans la haute antiquité, mener ta lutte contre les barbares qui voulait annihiler ta civilisation. Je t’ai vu mourir sous les crocs de la nuit et renaître différent quand son sang coula en toi. Je t’ai vu refuser cet état et te battre farouchement contre cela.
  • Bien, rit la silhouette, je vois que certains t’ont informée sur moi et mes qualités.  Ce dernier siècle, le conseil m’a offert le repenti et fait de moi le maître de sa chevalerie afin de me permettre d’achever ma quête contre les miens…
  • Tais-toi, ton existence grotesque est finie. »

Ces paroles, prononcées par l’esprit avec dureté et sans sentiment, furent suivis d’une détonation qui plombèrent l’ouï de Doris. Le tourbillon s’estompa sur un ciel bleu azur. Il étendait sa sérénité sur une plaine où s’agenouillait une herbe haute et verte, de gros chênes et une multitude de petits êtres de toutes espèces. Au loin, comme suspendu dans l’air, telle une image souvenir, souriaient les visages de Pierre, Malika et du patient derrière un léger voile.

 

Sur les matelas des murs, elle ouvrit enfin les yeux sur ce monde, les oreilles encore meurtries par le bang. Affaiblie par une malnutrition latente, et ce mirage conclut par l’intervention absurde de Moristo, elle s’écroula lourdement la face contre le sol. Ses muscles se remirent doucement en action pour lui permettre de se relever. D’abord mal assurés, ses pas retrouvèrent bientôt leur maturité, et ses jambes purent l'amener à porter des bruits du couloir. L’oreille collée à la porte, elle guetta le moindre signes extérieurs. Une forte agitation paraissait animer l’antre de la clinique ; des bruits de bottes répondaient à des armements d’armes claquant clairs. Des ordres portés hauts tombaient sur des hommes de bases qui couraient, frénétiques. Tous se précipitaient dans une sorte de folie concertée. Bousculés par ce tumulte incessant et énervant, des hommes en blouse blanche tentaient d’exécuter leur tâche d’infirmier et de médecin. Près de sa chambre, Doris put distinguer la proximité d’un poste important. Un supérieur s’y trouvait, commentant des messages ou aboyant des ordres : il avait résolument trahi sa présence. De ces palabres décousus, elle réussit à tirer certaines informations : l’attaque avait échoué. Les traîtres avaient fui et leur gourou avait tué leur général. L’ensemble de ces mauvaises nouvelles ne semblèrent pas désappointer, outre mesure, l’homme.

 

Elle resta ainsi une bonne demi-heure, dans l’attente d’un signe pour pouvoir échapper à son enfer. Sans raison apparente, elle s’était éprise d’amitié pour cet homme : il semblait apprécié l’armée autant qu’elle. Dans sa voix, elle avait relevé une pointe de douceur contrastant avec l’allure de chef qu’il tentait de se donner. Ses subordonnés aux allure d’assassin le nommaient colonel Harry. Ils murmuraient leur rapport, tremblant devant son courroux. Il s’en amusait.

 

Il portait une veste bleue nuit délavée par les événements. Des cheveux grisonnant descendaient de sous son képi blanc où il arborait les baguettes de son grade. Mais, cette austérité vestimentaire ne camouflait qu’avec peine une lassitude. Ses traits tirés et sa peau ridée par le soleil et blanchie par une sorte de peur, trahissaient un âge dont il ne pouvait se prévaloir. Un liquide salé et soporifique assiégeait ses yeux gonflés et mi-clos par de larges cernes ; il y brillait le désarroi de la tranquillité.

 

 Harry ne cessait de songer à cet ami dont il assurait la traque, sans trop savoir qui était le chasseur et le chassé. Entre chaque visite, il s’asseyait dans le gros fauteuil de cuir installé par ses soins dans l’alcôve. A ces côtés, un petit bar, réfrigéré et maladroitement camouflé en meuble de travail, renfermait une quantité non négligeable de whisky écossais. Le colonel y puisait, sans relâche, et nul n’osait l’en réprimander. Ainsi, petit à petit, il avait sombré dans l’alcool depuis le jour où Franck avait quitté la ville. On l’avait alors appelé pour diriger sa traque. Pourtant, à ce moment-là, il pouvait encore compter sur Moristo. Mais, le fait de devoir éliminer son vieil ami avait fini d’ébranler sa santé morale. Seul la potion des highlands lui donnaient la force de réfléchir efficacement au moyen de terminer cette mission. Malgré cette drogue, il essuyait les échecs. Lors de sa fuite, Pierre avait tué et blessé une vingtaine de ses hommes. Puis, il avait réussi à cacher sa trace aux renforts dépêchés sur place. De leur côté, Moristo et Doriande, outrepassant leur droit, s’étaient jeté dans la gueule du loup, emmenant dans leur folie, une de ses meilleurs escouades. Il ne lui restait que peu de chevaliers sans leur maître et un ramassis de novices, jeunes loups écervelés, tueurs et morts en puissance. De plus, il ne comprenait rien à ce foutu ordre, au sein duquel il avait été promu chevalier.

 

Quand ils passèrent devant lui, il dormait du sommeil du juste. Nul rêve ni cauchemar ne troublait son étrange quiétude. Le dos droit, elle marchait, tout à fait sortie de sa torpeur, au côté d’un grand médecin. Contrairement à elle, il semblait plus inquiet et ne cessait de regarder au-delà de son épaule. Ses mains étaient victimes de spasmes inqualifiables. Doris s’émouvait peu de sa peur ; on s’occupait d’elle. Son esprit se trouvait tourner vers des délires plus humains : la faim et la soif la tiraillaient enfin. Quand elle le vit, la tête penchée sur le côté, une larme collée au coin de ses paupières, sa casquette rabaissée sur ses sourcils, elle songea d’abord à un ivrogne. Le verre à moitié vide posé sur ces genoux, entre ses phalanges rouges, étayait son hypothèse. Mais, en s’approchant, elle remarqua son visage marqué, ce visage encore révélateur d’une ancienne beauté, entouré de cheveux bouclés et soyeux, peignés avec soin, elle releva cet habit sans pli et ces bottes propres mais non brillantes. Elle comprit alors que ce n’était pas le whisky, mais le désespoir qui terrassait Harry, le vieil ami de Franck. Dans le couloir, une dizaine d’hommes vêtus de noir tenaient le garde à vous, s’émouvant à peine devant la jeune femme peu vêtue passant devant eux. Au bout de cette sombre allée de colonnes humaines se trouvait une lourde porte de bois, où se conservait le titre de grand prêtre gravé sur une plaque de cuivre. Avant de l’ouvrir, le géant susurra à l’oreille de Doris :

 

« Une fois libre retrouver moi au chalet. »

 

Elle n’eut à peine le temps de répondre par l’affirmative avant d’être poussée dans la pièce. Une salle aux murs recouverts de rayonnage de livres, éclairés par un lustre bas de verrerie, s’offrit à elle. Du parquet ciré, surgissaient de grandes échelles de bois sur rail. Au centre, derrière un grand bureau de marbre rouge l’attendait, debout, cet homme pour qui elle n’avait jamais éprouvé qu’une affection douteuse. Il revêtait sa toge des grandes soirées, blanche avec un dessin noir et or représentant deux dragons enlacés par l’amour, elle reflétait parfaitement sa passion pour la tranquillité et la force parfaite. Elle reposait sur ses larges épaules et se trouvait sein à la taille par une ceinture pourpre, où pendait une lame d’obsidienne. Ses cheveux gris et sa barbe à la taille parfaite rehaussait son allure de vieux sage. Elle prenait toute sa quintessence dans la profondeur verte de ses yeux. D’un geste de la main, le Docteur l’invita à s’asseoir face à lui. Dans ses yeux, brillait la flamme de l’amour paternel et ses gestes reflétaient toute la tranquillité de l’âge. Doris connaissait l’aptitude de son maître à se montrer d’un calme olympien face à ses plus tumultueux disciples. Elle en était. Fidèle à cette réputation, il prit la parole :

 

« Je suis heureux de te revoir Doris. Je te croyais perdu à jamais et cela aurait été un grand deuil pour notre cause.

  • Je vous suis reconnaissante pour cette sympathie à mon égard. Mais, puis-je vous demander ce que vous faites si loin de la cité ?  Le regard de la psy se fit dur, presque inquisiteur. L’homme ne releva pas cette attaque et continua sur un ton égal.
  • Un Rebel, un de vos anciens patients je crois, Franck Dumar, a fait beaucoup de tort à l’ordre ces derniers temps. J’ai dû me déplacer moi-même pour lui donner chasse.
  • Et pourquoi cet entretien ? Vous me cachez trop de choses, y compris sur cet ordre auquel j’appartiens selon vous. Les paroles claquèrent, mais, les jambes de la psy n’en finissaient pas de trembler.
  • Vous êtes la seconde ; la première est en proie à un choix qui laissera peu de choses de ses facultés. Franck l’a, par un stratagème, mis à sa botte. Elle est perdue en pleine forêt. Mais, rassure-toi, nous la surveillons de près ; elle nous sert d’appât. Si tu acceptes de nous aider, nous te révélerons ce que tu veux savoir et tu prendras la place de Doriande. Pour ce faire, il te suffit de distraire Franck pendant sa capture.
  • Supposons que je refuse ?
  • En tant que disciple de l’ordre, tu n’as guère le choix. Un refus de ta part équivaudrait à un désaveu…
  • Je serais alors considérée comme Rebel et exécutée.
  • C’est évident. Mais je vais te laisser le temps de la réflexion. »

Doris fut inviter à sortir pour rejoindre son chalet au pied des pentes abruptes de ses montagnes. Une fois sortie de la clinique, une intuition l’anima, une intuition mené par son songe laborieux. La nuit tombait, et le rêve la conduirait à son destin. D’un pas mal assuré, elle emprunta un petit chemin courant dans les bois.

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