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02 Jan

eveil

Publié par Clément RAULIN

Vision du dehors

« Dans les rues, les pauvres s’entassent au côté des cadavres des rebelles et soldats du gouvernement dans des odeurs insupportables répondant de l’insalubrité la plus pure. Dans les bars à peine éclairés, des hommes armés rient et boivent pour faire fuir la mort qui cogne inlassablement à la porte. Dans les boites, des jeunes se regroupent en troupeau hétéroclite autour de chanteurs de rock camés. Ils chantent et fument au nom d’une liberté qu’ils veulent proche quand elle s’éloigne.

Dans son bureau de verre, un grand homme aux yeux bleus et aux cheveux blancs observe son œuvre en tirant sur un cigare. Ses paupières sont lourdes, chargées de rancœur, mi fermés sur un regard noir et plein de sens. De son vieux visage aux nez fin et multiples ridules séduisantes, émane une tension sourde, à peine atténué par un sourire ironique tordant ses fines lèvres. Il songe à l’ordre et à son devoir de rédemption sur ce monde.

Dans leur château de paille, des riches aristocrates s’enlacent, heureux d’être les souteneurs, les proxénètes de la rébellion. Ils ne se soucient plus de la mort de leur soldat de plomb ou des derniers titres qui fomentent contre eux.

Dans la cité, tout se résume à un jeu entre puissants, réduisant le peuple à des pions sur un échiquier. Mon coupé sport perce cet univers baroque, traçant sur la route humide un sillon argenté en arrosant d’une eau putride les trottoirs et leur misère retrouvée. Derrière le volant, je ris très fort. J’arbores un visage défait, translucide et aux joues anormalement creuses. Je suis vêtu d’un smoking blanc…

Tel un acteur pénétrant par l’entrée des spectateurs, je pénètre dans la salle aux multiples courbettes sous le regard outré de ses composants. Les paroles se taisent à mon auguste passage, les gens se retournent, me fixent. Je ne leur accorde pas même un regard, les yeux pointant ma cible : un homme au regard sombre dressé derrière son pupitre. Devant l’estrade s’étalent ses hommes de mains. Dix guerriers recouverts de protection grise et noirs axent leurs armes sur ma pauvre personne. Mais, je ne vois que lui, le Docteur, le maître de la cité entouré de sa cage de verre. Faisant fi de toutes agresseurs, je me jette à sa gorge plongeant la ville dans une guerre totale… »

A mon front perle une sueur rouge et salé. Je suis allongé sur le lit de la chambre 13 ayant finalement succombé au sommeil immortel. La pluie se veut raisonnante sur les tuiles recouvrant le toit proche. Au travers des fentes des volets s’immiscent les premiers rayons menaçants du soleil. Ils s’avancent sur le sol, rampent pour venir me lécher l’échine. Le temps de trois battements de cœur mortel, les choses me semblent irréelles. Ma vie me donne l’impression de n’être qu’un long rêve. Seules ombres à ce tableau : le souvenir persistant de mes lectures et la morsure brûlante de la journée. Alors que ma chemise blanche commence à se dissoudre pour fusionner avec la peau de mon côté en fusion, je consens à revenir à plus de réalité pour rejoindre enfin ma cave. Le repos devenait indispensable après cette quête spirituelle et peu nourrissante.

Enfermé dans mon blanc cercueil, allongé sur ce doux satin le tapissant, mes rêves éternels devinrent agréables. Je revis Doris courant et riant en bringuebalant, dans sa chaude main, celle d’un Pierre ahuri et plein d’espoir. Je revis Elanda et sa simple beauté de notre rencontre. Tous les actes de lecture et de déambulation, de mes dernières semaines, atténuèrent petit à petit leur emprise dépressive dans mon esprit. Mon sommeil s’étala sur plus d’un mois et me fit sortir de l’été dans un état de quiétude retrouvée.

L’automne et son cortège de feuille roussissant sous les derniers rayons chauds posaient ces bases sans entrain. Aucun nuage ne cachait les étoiles et la faible lueur de la lune. Le sable de la plage restait chaud et la mer scintillait encore de ses mille décorations estivales.  Le calme de la côte paracheva ma thérapie apaisante. Malgré cela, la nourriture spirituelle laissait mes joues effroyablement creuses et n’avait rien arrangé à mon teint de plus en plus vitreux. Je n’avais jamais autant ressemblé à un cadavre et j’en avais pris conscience.

Pour preuve, le jeune sur la plage crut bien croiser un mort vivant avant de s’offrir à moi pour devenir mon repas. Il en fut de même de la vieille femme somnolant sur le parvis de sa maison secondaire, ou encore de ce jeune enfant rapportant du pain chez lui. Il en avait d’ailleurs le goût. Trois repas et déjà les promeneurs noctambules ne me regardaient plus horrifiés.  Je reprenais confiance en moi, ma dépendance au sang vicié faisait partie de mon passé, et je prenais la vie sans état d’âme, usant et abusant de mon pouvoir obscur avec délectation. Pourtant, je me refusais encore à approcher de la cité en proie à une guerre civile terrifiante où, comme je l’appris par un messager, les derniers titres m’attendaient pour partir à la conquête du pouvoir. Plongé en partie dans de nouvelles lectures, je continuais à prendre mes repas sur la plage sous les derniers clairs de lune de la saison. Septembre avançait ainsi dans l’insouciance de mon rôle de maître et marquis. Entre la culture je me nourrissais de sang, accablant les alentours de mon bateau de meurtres aveugle dénué de sens aux yeux des mortels.

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publication de mes élucubrations