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25 Aug

DE LA FIN, premier chapitre

Publié par Clément RAULIN

Départ

Dernier des vampires, la ville s’offrait à moi tout comme le troupeau de moutons s’offre au loup affamé. Mais, trop de chiens et leurs maîtres m’y attendaient maintenant. Je n’avais ni la force, ni le courage de les affronter sur leur propre terrain. Peu de choix, autre que la fuite, ne s’offrait plus à moi. Résolu à sauter dans le premier train de nuit, je descendais ce chemin encore une fois, ce chemin de sable menant à notre navire.

 

Son image accablait toujours mon esprit. Inlassablement, je songeais à sa beauté, cette arrogance, cette sourde force qui avait irrité mes sens quand il m’était donné de la voir. Et puis, ma mémoire recula plus loin, à une période dont j’avais quasi tout oublié. Je revis cette vieille salle de quartier, cet écran de taille raisonnable gardé par deux rideaux à l’orange délavé par le temps. Sur les murs recouverts de tentures rouges, surgissaient des hauts parleurs noirs. Assis profondément dans un fauteuil informe au ton de la pièce, je me sentais bien, les yeux fixés sur l’image de rêve. Il passait un jeune film oscarisé maintes fois et plus que méritant. Il parlait d’une belle histoire d’amour impossible, du viol d’un mariage sur fond d’Afrique et de guerre. Les hommes y étaient forts, habillés de beige, de terre et de sable, aviateurs poètes désintéressés car déjà riches. Les femmes, sensuelles, vêtues de robes blanches et flottantes n’avaient d’yeux que pour eux. Elles aimaient leur esprit d’aventure, leur avion, leur bouquin à la couverture de cuir et leur front brûlé par le soleil. La vengeance, l’amour et la conquête remplissaient les interstices du scénario sur fond de bruit de moteur, de tôle froissée et de tir de canon.

 

Les morts héroïques ou pathétiques gardaient le même charme. Et, même défiguré, condamné à une mort lente et souffreteuse sous la protection de la morphine, il conservait son charme anglo-saxon, cette force d’aimer qui me manque tant aujourd’hui. Dire que l’infirmière succomba fut présomptueux, l’espérer, terriblement humain. « Le patient anglais » avait, à cette époque baigné mes rêves.

 

Déjà, dans mon esprit torturé de ces souvenirs, son image m’échappe, s’éloigne, disparaît pour aller reposer en surface de mon inconscient. Petit à petit, mes pensées se portent vers l’avenir. Le plus proche se trouve ici, dans ce vieil hôtel.

 

  Assis sur le bord du lit, les bras croisés, le regard reposé, il m’attendait. Sa mine grave ne m’inspirait qu’une vive inquiétude tant le destin me semblait certain. Faisant fi de ma prescience, j’approchais en souriant. Il baissa la tête, et dit d’une faible voix.

 

« Je suis désolé Franck, mais ta différence t’éloigne de moi et je ne peux accepter ton offre.

  • Pourquoi ? pourquoi ce jugement hostile et trompé à mon égard, à l’égard de notre vieille amitié. »

A la limite du désappointement et de la colère, il se leva, posa sa main sur mon épaule, avant de daigner répondre tête basse.

 

« Ils sont mes employeurs et je ne peux aller contre. Ils t’ont pris en chasse car tu n’es pas digne de notre société. Je suis désolé Franck, je le répète mais je ne peux plus rien accepter de toi. Tu dois partir. »

Sur cette injonction, il me tourna le dos, sa trachée tremblante de peur. Ainsi posé, il ressemblait au condamné attendant l’exécution de la sentence. Je ne pus lui offrir cette grâce, je ne pus que délaisser cette victime volontaire du système. Alors, sans un regard, je sortis de la pièce non sans dire dans un dernier sourire :

 

« Adieu mon vieil ami. Je ne t’offrirais pas cette mort que tu me quémandes. »

 

Dans le silence, il m’entendit fuir cette ville par l’escalier de bois, fuir ce navire qui venait de s’échouer sur l’écueil Harry. Alors, sans plus aucun espoir, sans chercher à écoper ou à passer en force le ressac, je quittais le bateau qui sombrait.

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