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26 Aug

Prisonnier

Publié par Clément RAULIN

La clinique

La pièce blanche avait été entièrement matelassée. L’unique fente de ce décor de cinéma, indiquait la présence d’une furtive porte. En son centre, recroquevillée sur elle-même, tel un fœtus dans le ventre de sa mère, vêtue d’un simple ensemble de toile verte, Doris grelottait en rêvant à sa montagne, à Pierre.

 

De l’autre côté de la lucarne, un grand homme à la crinière rousse discutait avec une jeune fille au corps d’adolescente. Il portait une blouse blanche et arborait, sur une petite plaque blanche, nom et fonction : Allegua Pierre, docteur principal.

 

« Comment va-t-elle ? s’inquiéta Malika avec des trémolos dans la voix.

  • Je ne peux encore me prononcer pour l’instant. Elle est sous calmant. Depuis votre arrivée à la clinique, elle a dormi une dizaine d’heures avant de prendre cette position.
  • Que comptez-vous faire ? Je veux dire, vis à vis de motre employeur. »

Retenant maladroitement un sourire qui aurait pu porter à inquisition, mais que Malika ne releva point, il répondit :

 

« Vous savez que je la connais bien, et je préfère la garder encore quelques temps en observation…Vous n’avez pas à vous inquiéter.

  • Vous auriez mieux fait de bien vous en occupez avant, elle vous a tellement attendu, coupa sèchement Malika. »

Ce qu’il advint de la jeune fille par la suite, on ne le saura que trop tard. Quand elle sortit, dans une rare fureur de l’hôpital, elle ne vit pas son suiveur.

 

Malgré les rayons de soleil, pénétrant par la fenêtre de la chambre, pour venir baigner son visage, le vampire ne souffrait en aucun cas. Croyant alors à la fin d’un horrible cauchemar ; son père ne lui avait-il pas dit que tout cela n’était qu’un rêve, il tenta de se lever. En vain, ses jambes et son torse avaient été entravés au lit par de larges sangles. Son patient enfin éveillé, Pierre pénétra dans la pièce : quatre murs blancs dont un avec une porte faisant face à une fenêtre aux barreaux renforcés, pour seul meuble : le lit de l’infortuné.

« Vous, rugit ce dernier.

  • Lui-même. Comment vous sentez vous monsieur Dumar ?
  • Comme quelqu’un fixé à un lit, et dont le dernier souvenir est la charge de cinq dégénérés : vos amis, si je ne me trompe ?
  • Mais encore ?
  • Vous voulez, sans doute, parler de ma soudaine résistance aux rayons du soleil. J’en attends votre explication. Mais, vous êtes là pour cela ?
  • Exact. Nous vous avons fait une simple petite piqûre. Nous disposons d’un produit miracle qui vous fera passer pour un client « normal » en ces lieux.
  • Qui êtes-vous pour en savoir autant et avoir développé un tel remède ?
  • En temps habituel, je vous aurais répondu que j’étais votre pire cauchemar. Mais, au vu des circonstances, considérez-moi comme un ami.
  • Que savez-vous de moi et mes semblables ?
  • Vous êtes le dernier représentant de votre race au sens proprement dit du terme.
  • Vous excluez donc Moristo.
  • Vous êtes perspicace. Quoi qu’il en soit, ceux qui ont mené la quête de votre fin sont en passe d’y parvenir.
  • Et ?
  • Rester patient. Pour l’instant, vous vous trouvez en sécurité. »

Interrompant le dialogue, le docteur finit de se retirer. Mais, Frank stoppa sa démarche d’une nouvelle question.

« Si je devrais vous considérer comme mon pire cauchemar, pourquoi me rendez-vous service ?

  • Les cauchemars existent que quand les gens en ont. Répondit-il sans se retourner. »

Retour à la cité

Frénétique, le Docteur, gouverneur de la cité, torturait de ses dix doigts l’accoudoir gauche de son fauteuil de cuir. Dans sa main droite, il tenait une coupe de vin noir. Se faisant, il jetait un regard emprunt à un certain désappointement sur les deux personnes assises devant lui. Doriande, vêtue d’une longue robe noire échancrée aux épaules fixaient humblement ses pieds. Moristo, enveloppé dans un cape couleur de nuit, cachait un regard fatigué sous les rebords d’un ample chapeau. Tête basse, il maintenait ses bras croisés tout en frissonnant. Le regard inquisiteur du Docteur se planta soudain sur sa pauvre personne :

« Alors mon bon ami. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

  • Il était trop fort. Je devais me nourrir de son père pour le vaincre. »

Le visage fermé, l’intervieweur se leva non sans rage.

 

« Cessez cette mascarade. Si vous êtes devenu membre de l’ordre, c’est pour la simple et bonne raison que vous disiez renier votre état illégitime. Pratiquer cet horrible jeu sur vos semblables vous en rapproche. Le bureau serait de mon avis. Je suis clair ?

  • Très clair monsieur, balbutia notre homme en rentrant la tête dans les épaules. »

Le Docteur reprit place au fond de son fauteuil. Puis, il se tourna vers Doriande qui était resté stoïque.

« Et vous ?

  • Déjà, je ne peux me vanter de disposer des pouvoirs de notre ami. Elle jeta un regard de haine vers la personne concernée. Pour ma défense je peux vous affirmer que nous savons où se trouve notre ennemi. Mes agents l’ont vu prendre la direction de notre cité alpine en train.                                                                       
  • J’aime mieux cela. Je vous serais gré de donner l’ordre à nos partenaires en position là-bas de l’arrêté.
  • Si je peux me permettre, murmura Moristo. Lesdits agents se sont déjà révélés défectueux de par le passé. Souvenez-vous de leur dernière action. Ce ne fut vraiment pas une réussite.
  • Je sais, gronda le Docteur. Mais oubliez-vous que ce sont eux qui vous ont créé ?
  • Il y a plus de deux siècles maintenant. Je pense, en toute sincérité qu’ils le regrettent encore.
  • Peut-être. Mais, soyons réaliste, ils sont nos maîtres, membres de l’assemblée. Nous restons des pions dans leur main. Que craignez-vous donc ?
  • Une certaine appréhension. Moristo venait de relever la tête, heureux de retenir enfin l’attention.
  • Que proposez-vous ?
  • En tant que maître de la chevalerie, défenseur de l’assemblée, j’ai le droit légitime de diriger personnellement les recherches et la capture. Vous seul pouvez m’en donner la permission. Il fixa le Docteur.
  • Soit, mais, Doriande vous accompagnera. Elle me représentera là-bas. Et puis, elle connaît bien notre proie. »

Touché dans son plan, Moristo plia la tête et trembla. En silence, Doriande n’en finissait pas de savourer sa victoire.

 

Deux heures après, deux agents gouvernementaux montèrent dans un train spécial affrété à leur enseigne. Dans le couloir, devant le compartiment, Moristo faisait les cent pas, l’œil révulsé de colère. Il allait d’une fenêtre à l’autre, fixant la plaine avec agacement. Il ne pouvait accepter la présence de cette inquisitrice, cette prychiatre, agent noir du gouverneur. Une mortelle, une femme, sans force ni légitimité face à lui, avait l’ordre de le surveiller, voire, outrage suprême, de le commander.

 

Devant ses yeux, les champs défilaient, mélange de vert et de jaune, de printemps et d’automne. De temps en temps, il discernait quelques paysans activés à moissonner. Chacun à un devoir à accomplir, songea-t-il. Le mien est d’éliminer les miens. Doriande, pour sa part, rêvait à ce jour béni où elle vaincrait cet être sans foi ni loi, cette aberration de la nature qui, selon son système de valeur, ne pouvait exister. Profondément assise, elle ferma les yeux. Elle repensa à cet homme imaginaire en tout dont elle avait eu la chance ou le malheur de croiser le chemin.

 

Enfin, Moristo vint s’asseoir face à son étrange beauté. Il ne daigna la regarder et se contenta de tourner les yeux vers la vitre sale.

 

« Que cherchez-vous ? Murmura-t-elle sur un ton ironique.

  • Rien, gronda-t-il, ou, peut-être, la signification de tout ceci.
  • Et bien, cher ami, nous nous apprêtons simplement à exterminer enfin une des plus mystiques races de ce monde.
  • Pourquoi ?
  • Pour le bien de tous. »

Insatisfait de sa réponse, Moristo ne releva pas et reprit sa ronde inquiétante dans le couloir.

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