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26 Aug

Amour

Publié par Clément RAULIN

Fuite

Assis dans une semi obscurité, Pierre fixait un écran de télévision désespérément noir. Son esprit était en proie aux doutes. Etre ou ne pas être : jusqu’à ce jour, cette question n’avait été pour lui qu’une réplique théâtrale de plus. Elle semblait, désormais, prendre toute son importance. Aujourd’hui, il pouvait, à jamais, annihiler son ennemi. Mais, que deviendrait-il alors ? peut-être un énième être à abattre ? Après tout, Hitler aurait-il existé sans la crise de 1929 et les juifs pourvoyeurs des dernières richesses ? Fatigué par ce désespoir soudain, il ferma les yeux pour sombrer dans un sommeil sans solution. Au moment de plonger, une main douce et fine le ramena à la réalité :

 

« Et bien, cher ami, vous faiblissez face à votre devoir ?

  • Je vous attendais, dit-il en maintenant son appréhension.
  • Je sais cela, affirma-t-elle en s’accroupissant face à lui. Pourquoi vit-il encore ?
  • Elle m’a dit de ne pas le faire. Il gronda sa réplique en saisissant le coup de Doriande entre ses larges mains.
  • Je serais à votre place, j’éviterais ce petit geste.
  • Et pourquoi cela ?
  • Le gouverneur m’a lui-même désigné pour le représenter. Je suis, de plus, secondée par le maître de la chevalerie. »

A ces mots, Pierre sentit se côtes se tendre sous l’effet d’une forte pression. Moristo, de toute sa force retrouvée le souleva entre ses pinces. Brisé, l’infortuné siffla :

« Que voulez-vous ? Je suis membre de l’assemblée au cas où vous l’auriez oublié.

  • Nous savons, murmura la psy. Mais, et ce jusqu’à réunion du prochain concile, les membres de l’ordre ont pour ordre d’éliminer les vampires.
  • Chambre 25. »

La chambre était baignée de lumière son visage. Elle se présenta vides aux deux compères, sans occupant et avec des barreaux brisés. Moristo rugit, Doriande s’éclipsa derrière un manque de crédibilité, consciente de la force de leur adversaire. Quand, fort désappointé, sir Delabre se tourna vers le lieu où, selon toute logique, aurait dû se trouver le médecin chef, son regard échoua sur un mur. Bien plus loin dans le dédale des couloirs, il fuyait, l’échine courbé, conscient du schisme dans l’ordre.

 

Franck, durant son sommeil nocturne retrouvé, n’avait pu voir ceux qui l’emmenèrent. Le rapt était l’œuvre de trois géants aux cheveux roux et amples, au teint mat et aux yeux bleus d’une profondeur sans fin. Ils le posèrent sur un chariot attaché à deux grands chevaux blancs. Leurs muscles emprunts de calme saillaient sous de sobres harnachements. Puis, tel un trésor, ils recouvrirent le dormeur, d’un drap blanc tissé.

 

Juchée sur le siège de l’attelage, tenant d’une main délicate les reines de cuir tressée, se trouvait, fière et arrogante, une femme aux cheveux blonds à la longueur éternelle et aux yeux fermés sur ce monde. Dès la besogne des hommes accomplie, elle avait fait onduler les deux lanières. Dans un étrange feulement, les puissants destriers s’étaient ébranlés sur le sentier. Plus haut, sur la montagne, le docteur Allegua avait regardé avec attention l’équipage qui s’enfonçait maintenant dans la nuit. Il n’avait pu penser au destin de l’étrange passager qu’il conduisait. Deux puissants gardes en manteau rouge l’encadraient à ce moment-là. L’un d’eux portait une oreillette. Quand le chariot avait été enveloppé des hauts pins, il s’était porté à hauteur de son protéger :

 

« Ils sont arrivés Sir. Ils viendront vous rendre sûrement visite dès le lever du jour.

 

Bien. Préparer notre départ, l’air du pays va bientôt nous être défavorable. Il me semble que l’ère de l’ordre sous égide des fils de Khyuma se termine ici. »

 

Alors que les gardes avaient fait volteface, il avait ajouté d’un rire forcé :

 

« Et dire que nous devons laisser vivre notre ennemi au risque de mourir de la propre main de nos amis et alliés. »

 

Au réveil, Franck, surpris de sa position allongée sur un socle de planche, n’osa d’abord pas soulever le drap qui le recouvrait et le protégeait peut-être. Se concentrant, il tenta de percevoir au-delà de l’étoffe, mais, rien ne vint. Le seul indice sur son étrange position résidait dans le chahut de son véhicule. Son silencieux et rudimentaire moyen de transport ne pouvait être qu’un chariot. Le martèlement des sabots sur le gravier lui en donnait la preuve.

 

Tout à coup, le roulement cessa. Sous le drap, un lourd silence s’installa. Tremblant d’une peur étrange, de cette peur qui cache son nom pour s’abattre sur vous de façon perverse et inattendue. Il bloqua chaque muscle de son corps : il refusait de se découvrir ainsi. Paralyser par sa propre réalité, il dut attendre qu’une main fine, aux pores réguliers et dorés, daigne soulever le drap. Arc-bouté au-dessus de son pauvre corps, elle semblait le fixer de ses yeux clos. Son visage fin se découpait dans l’onde de sa longue chevelure couleur de blé. La cascade venait se répandre sur une chemise de flanelle blanche, elle-même reposait ses pans sur un large pantalon beige enlacé dans des bottes de cuir noir collant parfaitement à ses mollets ciselés. Tel un fantôme, elle apparut ainsi dans la nuit. Elle enleva d’un ample geste le drap. Il s’envola avant d’aller doucement se poser dans l’herbe humide.

 

Malgré toute la tranquillité et la bonté émanant de sa personne, Franck n’arrivait pas à se sentir rassuré, et, restait dans sa tétraplégie. Sentant son malaise, l’étrange fille lui tendit la main pour l’encourager. Pour appuyer son geste, elle y joint un large sourire. Il lui accorda, en retour, un léger mouvement de lèvres. Puis, certain de sa bonne fortune, il maria son bras au sien pour se lever. Ils se retrouvèrent face à face : leur nez se frôlaient presque dans la fraîcheur nocturne. Elle était de même taille, mais, il lui sembla qu’elle pouvait en avoir d’autre. Son corps, mal dissimulé par une chemise à peine lassée à la base du cou, s’ouvrait sur une poitrine ronde se soulevant au rythme de sa respiration. Elle surplombait un ventre plat tracé de muscles fins. Son regard ne put s’empêcher de remonter vers sa gorge. Là, dans une totale harmonie, veines et artères s’animaient. Mais, il ne pouvait toujours pas admirer ses yeux, dont elle se bornait à emprisonner la beauté sous ses paupières.

 

Il voulut parler, mais la salive lui fit défaut et, sa langue, lourde ne put se décoller. Ses lèvres se mouvaient sans qu’un son n’en échappa. Face au désappointement qui figeait Franck, elle émit un petit rire.

 

« N’ayez crainte mon ami, vous retrouverez bientôt toutes vos capacités de vampires. Pour l’heure, l’élixir de l’ordre a encore des effets sur votre métabolisme. C’est la raison pour laquelle vous souffrez comme un mortel. Je ne connais qu’un moyen de vous redonner quelques forces. »

 

Elle lâcha les bras de son vis à vis pour venir l’enlacer. Puis, avec douceur et sans précipitation, elle approcha ses lèvres des siennes. Leur baiser fut long et calme, ressemblant plus à un dernier enlacement qu’à la folle découverte d’un corps. Lors de l’étreinte, elle se mordit la langue et il put sentir son fluide le pénétrer ; sa volonté reprit alors vie en lui et, il put reprendre l’initiative sur sa compagne. La sensation se fit plus profonde ; la fureur du désir menaçait de rompre l’étrange charme. Elle le repoussa alors sans ménagement, comme un médecin congédie un patient guérit. Conscient de ce fait, Franck se retira tête haute et prit la parole :

 

« Pourrais-je savoir à qui dois-je ce furtif plaisir ?

  • Je me nomme Thèbe, fille de Rochepierre et de dame Aimée notre regrettée mère. On nous nomme parfois les fils de la montagne, tantôt le peuple de Sussex, la race du nord, les guerriers des brumes ou encore le peuple de l’épée des neiges. Mais, nous sommes et resterons même dans la mort, les fils de Khyuma.
  • Enchanté. Mais, devons-nous rester debout pour en parler ?
  • Non bien sûr. Descendons et allons-nous asseoir sous la tente. »

A côté du chariot posé dans une clairière, se trouvaient deux grands arbres. Au pied du premier, deux chevaux broutaient, tranquilles et sereins. Nul harnachement ou corde ne brisait plus ni leur splendeur, ni leur liberté. Sous les puissantes ramures du second, une ample tente digne des rois arborait ses couleurs rouge et or. Alors que Thèbe s’engouffrait sous les pans de toile, Franck ne put s’empêcher d’aller flatter le flanc des puissantes créatures. A son contact, ils hennirent faiblement en redressant les oreilles. Avec une délicatesse inattendue chez des animaux de cette taille, ils vinrent poser leur museaux l’un sur ses épaule. La chaleur de leur souffle paracheva l’œuvre bénéfique de la princesse. Ils restèrent ainsi, entremêlé, l’espace d’une éternité. Puis, ils le congédièrent de légers mouvements de tête, le contraignant à rejoindre Thèbe.

 

Sur le sol constitué d’un lourd et profond tapis bleu de nuit, avait été déposés de multiples coussins et couvertures. Face à l’entrée, elle se tenait assise en tailleur, les yeux toujours clos. Franck prit place et commença la conversation :

« Qu’est Khyuma ?

  • Une petite île au large de l’Estonie. Nous y vivions en paix il y a plus de 1 000 ans maintenant.
  • Et ?
  • Nos voisins des terres firent lutte contre nous. Les premiers vinrent du nord, et nos rois les repoussèrent. Les suivants naviguaient depuis le sud ; nos mages gelèrent la mer et les glaces brisèrent la coque de leur navire. Puis ce fut de l’Est et de l’Ouest qu’ils débarquèrent ; et nombre de nos soldats périrent en les rejetant à l'eau. Enfin, ils abondèrent de partout avec une coalition de guerriers et de mages. La bataille fut longue et terrible, dura tout un jour avant de se mourir dans la nuit avec la promesse de dur lendemain pour les troupes.

Quand le soir maudit tomba, leur plus puissant mage, un vampire des Carpates, nous assaillit. Il était seul, et son bras séculier s’abattit sans jamais faillir sur nos plus grands héros et rois. Il vint à bout des plus vaillants, laissant gémir les plus faibles.

 

Quand l’aube se leva sur le carnage sanglant, le dernier des rois et ses rares puissants guerriers en vie entourés de femmes et d’enfants, demandèrent la grâce aux étrangers. Dans leur effroyable bonté, ils acceptèrent non sans condition. Nous devions errer dans le monde, mettre nos épées au service de la justice et détruire la race qui avait causé notre perte : les vampires.

  • Alors, je suis le dernier des responsables. Pourquoi me laisser en vie ?
  • Voici toute l’ironie actuelle. Les négociations nous portèrent jusqu'à la nuit. Dans la tente des rois, surgit alors le comte vampire encore couvert de sang. Trahi par ces alliés et furieux, il pourfendit les rois envahisseurs pour ne laisser en vie qu’un de leur puissant mage. Nous avions fait notre promesse et ne pouvions y déroger. Il ordonna aux mages de lier notre existence à ce serment.
  • Alors, vous devez nous détruire pour tenir votre promesse, mais notre extinction signifiera la vôtre.
  • C’est exact. Les rescapés de l’île ont créé, afin de remplir leur tâche le sombre ordre auquel ils lièrent nombre d’humains. Mais, plus notre quête de rédemption progressait, plus les nombres des nôtres diminuait. Nous sommes aujourd’hui fort peu. Hormis l’assemblée, l’ordre est quasiment au main du docteur, le grand inquisiteur, qui n’est pas un fils.
  • Il n’a donc aucune raison de me laisser vivre. Votre décision est-elle prise ? »

Nulle réponse ne vint le satisfaire. La dame se leva et sortit de la tente. Franck la retrouva en compagnie des deux chevaux ; des larmes luisaient à la frontière de ses paupières.

 

« Cela fait trois jours et trois nuits que nous progressons vers le nord. Là, l’assemblée se réunira loin des chevaliers contrôlés par les autres peuples. Une réponse vous sera alors apportée. »

 

Franck l’enlaça et lui murmura :

 

« Pourquoi ces larmes ma déesse. Votre existence ne peut-être si sombre. »

 

Voyant le respect entre eux, et la naissance d’un amour profond dans la tonalité de ses paroles, Thèbe ouvrit ses paupières. Ebahi, le vampire ne put quitter des yeux ses deux rideaux qui se soulevaient sur les mystères du monde. Doucement, ils se laissèrent voir : deux agates se blottissaient dans le lait, enchâssés profondément dans des orbites en forme de fèves. Franck se sentit basculer dans un rêve ; il observait toute la beauté de la terre et de la vie jointe au travers du regard d’une femme. Alors, il comprit qu’il ne pourrait jamais assez aimer cette dame : on respecte les dieux, on les adore, on les supplie, mais on ne peut se permettre de les aimer comme de simple mortel. Il prit conscience de sa taille réelle, de sa force et de son intelligence. Il mit un genou à terre et pleura des larmes de mortel.

 

« Comment telle beauté et telle sagesse peuvent-elles être obligées d’errer à travers le monde dans l’espoir de trouver la paix ? Comment mes ancêtres mortels et immortels ont-ils pu vous affliger d’un destin si cruel ? Pourquoi ne puis-je vous aimer sur l’instant ? »

 

Posant sa main sur sa tête, elle caressa sa crinière brune. Elle répondit d’une voix emplie de larmes de sagesse :

 

« Amour, beauté, dieux et consorts ne sont que des rêves en ce bas monde. Et, le rêve n’est qu’un jeu pour ceux qui s’en donnent la peine.

  • Et la mort vient de la fin de ce merveilleux rêve, ajouta Franck en se redressant le cœur serein. »

A des lieux de là, dans le ciel, les étoiles riaient de leur folie. Les Dieux, inquiets, comprenaient l’erreur du monde. Ici-bas, insolent, défiant les lois du bien et du mal, Thèbe et son ennemi savouraient cet instant sans prétention, une nuit joyeuse et chaude, une nuit comme les aime les simples mortels. Quand le jour daigna enfin poindre, leur sommeil resta présent, soucieux de conserver, encore un peu, dans un même rêve les deux amants d’un soir.

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